mercredi 12 décembre 2007

Belleville, Facebook et citoyenneté

Je reviens ce jour d'une plongée au sein du Paris de Belleville, si cher à Daniel Pennac. Certes, le Zèbre y est toujours présent, au moins symboliquement, pour rappeler qu'ici le louchebem avait droit de cité il y a encore cinquante ans, mais aujourd'hui, la face du quartier a profondément changé. Il mérite une visite pour se rendre compte du visage réel de la France urbaine et laborieuse de 2007. Franchissons honnêtement un rubicond, un tabou, et avouons le, on est au coeur des communautés, ici turque, là loubavitch, plus loin chinoise, ou encore arabe (divisée souvent selon les origines nationales).
Ce symbole du Paris populaire, gavroche, communard, nous alerte sur notre réalité contemporaine et nous appelle à la regarder en face.
Ma première réflexion consiste à dire qu'un travail en profondeur est à reprendre dans nos mentalités. Et notamment le fait que le principe d'unité nationale ne peut plus être conçu comme un absolu positif autorisant la négation des diversités culturelles. Et ce, d'autant plus que l'analyse du territoire peut s'analyser aussi comme une lutte d'influence entre communautés. Par ailleurs, dans ce "bouillon de cultures", on est frappé par le maintien du caractère laborieux de la sociabilité. Le commerce, je devrais dire le "business" est omniprésent, mais aussi la misère, les "marchands de sommeil". Le choc des conditions sociales est impressionnant : là une puissante limousine attestant le caractère florissant des affaires de son propriétaire, ailleurs la pauvreté de personnes récemment immigrées réduites à des conditions de vies indignes. Ajoutons que, discrètement, derrière un porche, on trouve aussi des havres de luxe pour bobos, mais qui semblent destinés à être surtout cachés de la face du monde (la rue), pour protéger la quiétude de cette nouvelle bourgeoisie "high tech".
A l'évidence ce lieu est un laboratoire sociopolitique passionnant car il y a une réalité communautaire, le choc des cultures, mais aussi un contexte économique qui fait qu'on n'est pas dans le contexte des "banlieues difficiles". Il y a là une épure de l'évolution sociale dans un contexte où entreprendre n'est pas voué à l'échec. Celle de la France qui est sensée "travailler plus pour gagner plus"?
Une chose est donc sure, si le principe d'égalité des droits pour chaque citoyen français, et au delà, de reconnaissance des droits inhérents à chaque individu, doit rester un principe, il ne peut servir à nier une réalité sociale communautaire qui est la logique d'organisation et de construction sociale de la réalité. Une fois de plus j'ai rencontré l'illustration forte d'une intuition personnelle : la société d'aujourd'hui s'élabore, d'un coté selon le principe du "triomphe de l'individu", de l'autre avec le "retour des tribus". Est ce un mal ou un bien, je ne me pose pas la question, il faut simplement admettre que c'est ainsi!
Seconde réflexion, le "bobo", dans son havre de paix, lui aussi cherche sa communauté. Avec sa "csp++", son capital social et culturel qui en font le fruit de la geste républicaine à la française, notre citoyen indifférencié, mais qui s'est distingué par le concours ou par le salaire, se cherche malgré tout, lui aussi, une identité de rattachement. Alors, enfant de la laïcité, de l'école républicaine et de la modernité, il rentre dans son loft, le soir, et calme son angoisse solitaire en sessions frénétiques sur Facebook.
L'enjeu de ces bouleversements interpelle la politique et les politiques quels qu'ils soient. Arrêtons de privilégier les principes et de faire, à l'ancienne, primer le phantasme sur le réel.
Ce n'est sans doute pas un hasard si ce vingtième arrondissement de Paris fut aussi un laboratoire de l'échange participatif et délibératif citoyen. Même si la thématique semble avoir pris "un coup de vieux" après l'élection présidentielle, c'est bien de ce coté là qu'est possible une co - construction de l'intérêt général dans le respect de la spécificité de chacun.

lundi 10 décembre 2007

Rama, Khadafi et les Judas

En ce matin triste du 10 décembre de l'an 2007, la question morale ferait elle retour dans le débat politique? Telle pourrait être la question à se poser à la suite de l'intervention forte de Mme Rama Yade à propos de la visite officielle du Colonel Khadafi.
Ce retour de la question morale est aussi la résultante de notre culture politique, imprégnée de culture judéo - chrétienne. Le grand apport de cette tradition est, pour aller vite, qu'au nom de l'efficacité politique, on ne peut tout justifier et qu'un corpus de règles intangibles doit régler nos comportements (notamment les droits de l'homme). C'est dans cette droite ligne que les 20 dernières années ont permis la lente élaboration de tribunaux pénaux internationaux pour condamner les plus terribles dirigeants de la planète.
Les droits de l'Homme sont le capital commun qui unit les femmes et les hommes, quelque soit leur croyance, leur culture. Ils étaient déjà ce sur quoi Kant imaginait les conditions d'une paix perpétuelle et universalisait alors le message des pères de l'église.
Même si je crois bienvenu de conduire une politique réaliste (surtout en matière internationale), le surgissement inopiné de la question morale, lors d'un tel épisode, me semble venir fort à propos. Peut - être permettra t - il de mieux déceler où se trouvent les véritables traitres (ceux qui, à l'image de Judas, sont capables de vendre ce qu'ils ont de plus précieux à vil prix)?

dimanche 2 décembre 2007

Le MODEM, un précipité alchimique?

Cette fois ci, ça y est, ou presque, la messe est dite, François Bayrou, en grand prêtre vient d'opérer un acte sacré, la création sur les fonds baptismaux médiatiques et militants de sa machine infernale pour conquérir le pouvoir.
Deux éléments peuvent être discutés, dans cet acte indiscutablement politique.
1) Il s'agit bien pour lui de transformer un classique parti de cadres, d'élus, en parti d'électeurs, donc où la force militante l'emporte sur le réseau d'élus. Il s'agit clairement de sa stratégie, il l'a dit, et, d'ailleurs les élus habituels de l'UDF l'ont entendu, en quittant le navire en vagues successives. Là, au moins, sur ce point, les choses sont claires, le MODEM est un parti de militants (40000 environs suivant les estimations les plus raisonnables, ce qui est une base honorable), et une machine conçue pour porter un leader clairement identifié vers l'échéance suprême : la présidence de la République. En contrepoint, l'avatar "Nouveau Centre", construit à la hâte, par les députés UDF sortants en mai - juin dernier, semble difficilement assimilable à un parti politique, du moins pour l'instant. Il s'agit plutôt d'un simple réseau d'élus, sans leadership crédible.
Partant de cette réalité, de nombreuses questions se posent : F. Bayrou pourra t - il tenir longtemps dans sa "tour d'ivoire centrale", face à la fameuse boussole gauche - droite, qui reste le GPS politique inconscient des français, l'électeur pourra t - il trouver le chemin de l'urne pour aller déposer un éventuel bulletin de vote Bayrou ? Les quatre ans à venir vont nous l'apprendre. Mais une chose est sûre, le recensement des accords locaux avec la gauche et la droite dans le cadre des municipales permettront d'apprécier si le vocable "démocrate" du label est assimilable à celui du parti éponyme aux USA. Et là, un tout autre sens se dévoile, l'ambition de croitre sur l'hypothèse d'un PS en crise grave, longue et désespérée. A suivre....
2) L'autre remarque concerne plus les problématiques classiques de la science politique face au phénomène partisan. La classique catégorisation de Maurice Duverger (parti de masse, parti de cadres, parti d'électeur) a encore de beaux jours devant elle, et le cas du Modem nous apporte une information essentielle, la transmutation d'un parti de cadre en parti d'électeur doit se faire sur le deuil de l'ancien système, aucun continuité n'est possible, et les déclarations empruntes d'un registre presque psychanalytique des anciens compagnons de F. Bayrou témoignent de la réalité de cette rupture incontournable.
Au delà des stratégies et des luttes, la politique est aussi une affaire d'Hommes, et pour cela la lecture de Shakespeare est une source fertile d'inspiration.

samedi 24 novembre 2007

Nouveaux clivages, nouvelles boussoles

En une semaine de nombreux faits nouveaux ont pris place dans l'actualité sociopolitique française. Tout d'abord la sortie de crise sociale dans les transports, en second lieu la forme de la contestation étudiante, enfin les premiers indices de la construction d'enjeux politiques pour les consultations municipales et cantonales de mars prochain.
Les deux premiers points soulignent une forme renouvelée et redistribuée du réformisme et de la radicalité politique et sociale. Le tournant opéré par Bernard Thibault semble commencer à donner des effets, et l'on peut penser que la consigne de reprise donnée par la "CGT cheminots" dans les assemblées générales a été suivie parce qu'il reste une certaine culture d'organisation au sein de la centrale syndicale et surtout un intérêt clair à "sauver le navire". 2008 marquera peut - être, avec cette évolution, un palier de plus attestant la lente agonie du communisme français, celle ci se traduisant par l'autonomisation définitive d'un syndicat qui fut longtemps, quoi qu'on en dise, sa courroie de transmission. Sans doute faudra t - il constater un jour que ce tournant est aussi à mettre au bénéfice d'un réalisme hérité : celui qui enregistre facialement la réalité des rapports de force et qui ne connait que cette voie de rationalisation pour sa stratégie politique. Voila un beau thème à méditer!
Plus complexe à analyser en direct, comment comprendre les postures réformistes et radicales face à notre système droite - gauche. La bonne vieille clef de compréhension que notre maître à tous, le regretté René Rémond proposait, à savoir l'opposition entre parti de l'ordre et parti du mouvement demeure t - elle crédible? Comment penser ces revendications basées sur le refus de toute évolution d'un statut ou d'une institution? Comme si au dessus de tout çà planait une ambiance de peur, d'angoisse, de refoulement du risque. Comme si tous ces blocages voulaient exprimer un désir inconscient de repli sur soi, de refus de vie, de refus de sa propre expérience. Comme si un système sociopolitique avait enkysté les citoyens dans une position infantilisée dont ils ne veulent surtout pas sortir, peut - être par peur de découvrir leurs propres désirs. Voila, là aussi une idée à réfléchir, discuter et méditer!


Dans un registre tout à fait différent, les situations politiques se décantent à l'aube de l'entrée en campagne dans de nombreux contextes municipaux locaux. Il est encore trop tôt pour tirer un premier bilan. Néanmoins, je voudrais aujourd'hui vous faire part d'un étonnement : je ne cesse d'être décontenancé par le contraste entre un appareil socialiste grippé et refusant de "se soigner", et une situation de pouvoir qu'il n'a, à ma connaissance, jamais connu : les deux principaux organismes économiques mondiaux (OMC, FMI) ont à leur tête un membre du PS, 21 des 22 régions sont dirigées par la gauche, de même pour plus de la moitié des départements (DOM compris), les deux plus grosses villes de France (Paris et Lyon), de nombreuses communes de plus de 100 000 habitants dont le maire sortant socialiste semble en très bonne position pour renouveler son mandat. Vu comme cela, le PS doit il déprimer?
Ma réflexion est la suivante, tous ces éléments semblent militer dans le sens d'une réalité du pouvoir en France qui oppose d'un coté pouvoir local et pouvoir national. La "déprime" de l'appareil socialiste résulte évidemment de son échec présidentiel, donc de son incapacité à conquérir dans la phase 2006 - 2007 le pouvoir national, mais corrélativement, du coté du pouvoir local, il n'a, à ma connaissance jamais été aussi fort. Cela mérite aussi d'être relevé, dans une nation désormais décentralisée, c'est un atout à ne pas négliger.

dimanche 18 novembre 2007

Il y a mouvement et mouvement

En ce dimanche 18 novembre, la situation sociale, telle qu'elle nous apparait à travers les médias, semble particulièrement illisible. Et, effectivement, le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'est pas simple!
Sans prétendre la rendre limpide, ce qui serait vraiment présomptueux, on peut néanmoins isoler quelques éléments pour s'y retrouver quand même.

1) Un premier point mérite d'être souligné : une mobilisation collective est toujours un moment où s'instaure un face à face entre "l'argument de la force" et "la force de l'argument". Pour le dire autrement, un conflit social est une phase où l'on considère légitime que s'exprime une émotion, y compris de manière forte. C'est bien cette tension "émotion" - "raison" qui est la caractéristique de ce qui se joue dans une mobilisation et qui tend à faire une distinction entre "qui craque" et "qui tient". Autrement dit encore, gagner à terme, c'est s'approcher le plus possible de ce qu'on estime, à froid, pouvoir obtenir, modulo, bien sûr, le contexte du conflit tel qu'il se déroule.
Dans le conflit SNCF-RATP, la scène de conflit serait simple si l'on pouvait la résumer à un duel entre les ouvriers d'un coté et leur patron de l'autre. En fait il y a au moins quatre, voire cinq instances à distinguer.
Tout d'abord, le gouvernement et sa réforme, là, on voit bien, son intérêt c'est réaliser sa réforme au mieux et agir de telle manière que le présent contexte ne se retourne pas contre lui en terme d'opinions.
Ensuite, les entreprises concernées sont des quasi - acteurs. Elles représentent bien des contextes particuliers dans lesquels se posent des problèmes de conditions de travail et de management spécifiques, mais leur marge de manoeuvre est très limitée car l'Etat est actionnaire majoritaire, voire unique, et les règles juridiques ne leur laissent que très peu d'espaces de négociation. Du coup, les intérêts de ces entreprises sont très hybrides : ceux d'un service public classique, mais aussi ceux d'une entreprise soumise à une logique de marché. On voit bien que le caractère profondément hybride de ces instances ne permet pas de les situer comme des pièces maîtresses dans la résolution de la crise.
En troisième lieu, il y a les centrales syndicales. Si j'osais, sans malice, une image, je dirais que le "marché syndical français" a deux caractéristiques : d'une part il n'est pas très dynamique, il n'attire pas beaucoup de "clients", d'autre part il est hautement concurrentiel. J'ajouterai volontiers qu'il souffre d'une phase de sédimentation originelle qui date de 1945 et qui englue sa capacité à se développer (cf. post précédent). Autrement dit, tout acte d'une centrale syndicale au niveau national doit s'analyser d'abord et avant tout comme un "sauve qui peut" institutionnel : "il faut sauver la boutique"! Ce point est essentiel car c'est à partir de lui que se crée un hiatus potentiel au sein de la mobilisation. Et ce hiatus est à la fois vertical et horizontal. Verticalement, il va se décliner avec les différentes branches du syndicat considéré, puis in fine, avec la base mobilisée, et ces trois niveaux n'ont pas forcément les mêmes intérêts, nous verront plus loin. Horizontalement, un hiatus est patent entre syndicats qui se disputent une très faible représentation des salariés. Cette concurrence, de plus, est faussée puiqu'elle s'instaure entre des acteurs de premiers plans, reconnus institutionnellement par le pouvoir - les syndicats représentatifs - et d'autres syndicats qui ne jouissent pas de ce label. Aussi n'est - il pas étonnant qu'on rencontre chez ces derniers soit des syndicats radicalisés, type SUD, soit des syndicats maisons, peu aguerris à la culture du conflit.
Quatrième catégorie d'acteurs : les branches syndicales. On voit bien, à travers la figure de M. Le Reste, responsable des cheminots CGT, qu'il y a quelque chose qui se joue de spécifique à ce niveau là. Sans mauvais esprit, ni intention maligne, un petit détour historique peut, sans doute expliquer l'importance de ce niveau d'organisation dans le système : en 1995, dernière grosse crise sociale de référence, qui était à la place de M. Le Reste? Réponse : M. B. Thibault. Autrement dit, au sein même de l'organigramme d'une centrale syndicale, le devenir personnel d'un responsable de branche tient à sa propre efficacité dans les mobilisations. Tout était homogène au sein de la CGT tant qu'il n'y avait pas débat sur son syndicalisme de rupture habituel. Aujourd'hui la mutation tentée par B. Thibault vers une CGT réformiste ouvre à M. Le Reste l'opportunité d'apparaitre visible et lisible par une base qui n'a pas fait son aggorniamento stratégique et idéologique. Il peut, au sein de sa propre centrale syndicale, se poser en s'opposant à B. Thibault. C'est sans doute ce fait là qui est la figure la plus innovante du conflit actuel.
Dernière instance, mais ce n'est pas la moindre, celle qu'on appelle parfois trop facilement "la base", avec un soupçon de distance qui ne sied point. Rappelons d'abord que ce sont des êtres humains, dotés d'une conscience, de revendications. Rappelons aussi, même si ce n'est pas très populaire, que faire une grève, ce n'est pas faire la fête! Rappelons qu'à terme, celles et ceux qui manifestent, bloquent, payent le prix de leur choix et qu'à la fin du mois leur salaire sera amputé. Ce ne sont donc pas des irresponsables. Ils peuvent apparaitre comme les plus sourds à la raison institutionnelle et politique, mais ce sont eux qui forment les troupes et la force de la mobilisation. Il en va donc de la légitimité des centrales syndicales d'éviter toute évolution vers des formes anarchiques et autonomes de la mobilisation. Mais les syndicats ont ils aujourd'hui les moyens de leurs fonctions? Cette question est centrale car c'est d'un contact non régulé entre une base mobilisée et des citoyens génés par le blocage que peut éclater une bombe.
Tout est là, la mobilisation, encadrée par des organisations syndicales prend une forme symbolisée, ritualisée ; le basisme, au contraire, c'est l'inconnu et l'improbable!

2) Du coté des étudiants nous en sauront plus très vite. Mais il me semble que le problème se pose de manière très différente. Tout d'abord, il y a dans l'opinion publique une sympathie naturelle pour les étudiants qu'on ne retrouve pas forcément envers les salariés. Dans nos représentations inconscientes, ils sont sensés représenter à la fois "l'avenir" et sont un peu "nos enfants". Ensuite, leur argumentation contre la loi Pécresse tape sur trois arguments assez judicieux : la représentativité au sein de l'instance dirigeante que sera le Conseil d'Administration des universités, la faiblesse des moyens engagés et, de fait, la rationalisation des filières qui se fera sur des logiques d'utilité économique et sociale.
Même si je crois que ces trois points, discutables, ne justifient pas une opposition radicale à la mise en œuvre de la réforme, force est de constater qu'il y a trois objections qui sont bienvenues et qui méritent d'être prises en compte.
Enfin et surtout, gare à un mouvement étudiant, gare à tout débordement d'autorité, le syndrome Oussekine plane dans les inconscients politiques. Face aux étudiants, le pouvoir est toujours plus désarmé (ou mal armé) que face à des salariés.

mercredi 14 novembre 2007

Les délices de la complexité sociale

La situation sociale que nous vivons me parait éclairer la complexité qui peut naitre entre un corps social qui a ses logiques internes propres et une représentation qui pose problème.
Je m'explique : il n'est évidemment pas question ici de contester le droit de grève, le droit syndical et le bien fondé de centrales puissantes agissant pour la défense des intérêts des salariés, y compris, si cela est nécessaire par le recours au blocage.
Le problème que rencontre aujourd'hui, et le gouvernement et les centrales syndicales est que, par leur histoire propre, l'interaction prend la forme d'un conflit alors que les deux instances, politique d'un coté, syndicales de l'autre, sont bien plus des partenaires, dans la réalité. En effet, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et d'ailleurs sous l'égide du Général de Gaulle, s'est déployé en France une pratique des relations sociales qui relève de l'oxymore : le "paritarisme tripartite".
En clair, ce qui devrait être une relation à deux, celle qui s'instaure entre le patron et le syndicat est en fait une relation à trois. L'Etat interventionniste de 1945, devant agir pour la relance de l'économie a jugé nécessaire de s'investir dans les relations sociales, et les syndicats ont jugé alors profitable de jouer ce jeu. C'est alors qu'est apparu la figure du "syndicat représentatif", label qui donne à l'institution syndicale qui en profite, la capacité d'être, à la fois le défenseur d'une catégorie sociale contre le gouvernement quand il le faut, et le partenaire reconnu de l'Etat dans les organismes de gestion du système social (Unedic, Assedic, etc...).
Cette situation avait sa justification dans le contexte des années 50 et 60. Il a pu apporter un certain nombre d'acquis dans les deux décennies qui ont suivi.
Mais aujourd'hui, on a le sentiment d'observer un jeu symbolique entre le gouvernement et les syndicats qui relève d'un mécanisme bien connu en psychologie : préférer le phantasme au réel pour espérer en tirer un bénéfice secondaire, au risque de faire ultérieurement l'expérience douloureuse de la chute du phantasme.
Si je résume : la déclaration de B. Thibault (CGT), hier, acceptant finalement la négociation entreprise par entreprise, avec la présence d'un représentant de l'Etat, témoigne d'une perception du dialogue social où les syndicats se sentent plus en confiance avec la présence d'un représentant du pouvoir dans le jeu. N'y a t - il pas là une preuve de la faiblesse syndicale réelle qui plombe profondément le dialogue social en France. Au fond, tout se passe comme si les syndicats semblaient devoir se promener avec une "bouteille à oxygène" gouvernementale pour pouvoir poursuivre les actions conflictuelles ou mener à bien les phases de négociation qu'ils ont entamé.
De son coté, même si le modèle de l'Etat interventionniste n'est plus vraiment de mise dans une économie mondialisée, tout se passe comme si le gouvernement au risque du déni de la réalité, entre dans ce "bal", considérant probablement que son poids peut jouer un rôle et limiter, probablement, les risques induits par un conflits social en terme de notoriété.
En prenant du recul, on a ainsi l'impression d'assister à deux représentations théâtrales gigognes celle du paritatrisme tripartite qui n'a plus aucun sens et la scène du conflit social dans la rue qui oblitère, me semble t - il l'angoisse syndicale et gouvernementale : continuer à sembler jouer un vrai rôle sur le terrain social alors que le cadre de référence et la réalité des rapports de force a radicalement changé.
Encore une fois, ce conflit va peut - être aboutir à une négociation, mais probablement en utilisant l'agenda (les régimes spéciaux) pour expérimenter s'il est encore possible de donner le change (ne pas toucher aux règles de la représentativité syndicale et feindre de ne pas s'inquiéter du faible taux de syndicalisation) et finalement se rendre compte si des bénéfices immédiats peuvent être tirés de cette situation par le gouvernement et les syndicats.
Le problème est que le salarié (et le citoyen en général) n'est pas vraiment au coeur de ce qui se négocie réellement actuellement. Et cela est mortifère et pour les syndicats, et pour le gouvernement à terme.

samedi 10 novembre 2007

Souriez (jaune), vous allez être filmé(e)!

Il se passe toujours quelque chose dans la république sarkosienne. Hier, c'était l'annonce d'une commission sur la télésurveillance qui vient d'être créée à la demande de Michelle Alliot - Marie. Elle est présidée par le célèbre criminologue A. Bauer. Ce dernier a précisé que l'objet de cette commission était de faire la part entre la liberté d'aller et venir et le droit à la sécurité. A l'horizon de cette commission : le triplement des caméras de télésurveillance en milieu urbain, rien que çà!
Il me semble qu'une réflexion devrait être portée dans cette commission sur la frontière entre vie privée et vie publique. Et notamment le fait que cette frontière ne recoupe pas forcément celle, géographique, qui sépare espace public et espace privatif.
Pour illustrer cette idée, on a souvent dit dans la littérature que "l'air des villes rend libre". Qu'est ce à dire? Et bien que l'agrégation de population qui est la caractéristique de l'urbanité produit un effet dans notre perception de la relation à l'autre. Et donc a des conséquences sur ce que l'on pense, à juste titre, pouvoir s'autoriser, ou au contraire devoir s'interdire.
On parle bien sûr de l'isolement terrible de nombreux habitants des villes. Mais n'avez vous pas aussi, parfois, ressenti l'intense bonheur de se sentir libre au milieu d'une foule? En ce qui me concerne, je suis profondément provincial, mais aussi intensément amoureux de Paris. Jeudi dernier, j'ai encore ressenti cette étrange et fascinante volupté d'être seul vers 11h. du soir place Clichy, alors grouillante d'une vie intense et incroyable.
Au delà de ce type de sentiment, il y a, je crois l'impression profonde d'être au milieu de la vie sans être sous le regard de l'autre, sentiment qui, il faut bien le dire est plus rare dans une province où les relations et la notoriété sont plus rapidement construites et la proximité plus grande.
En bref, le droit à l'anonymat me parait être, en propre, un droit de l'Homme, au même titre que le droit d'être reconnu.
Quelque chose me dit que c'est plutôt là que se situe le problème que les partisans de la vidéosurveillance pourraient passer par "pertes et profits". Si je résume leur argumentation probable : "vous n'avez rien à vous reprocher, alors vous n'avez rien à craindre de la caméra". Mais le prisonnier qui n'a rien à se reprocher pendant la promenade n'a rien à craindre du mirador non plus! Et dans ce cas, il est vrai limite, le mirador est très visible. Avec la vidéosurveillance, la situation peut être encore plus insidieuse, car si certaines caméras sont visibles, le seront elles toutes?
Voyez vous, il m'arrive de temps en temps d'avoir envie d'embrasser quelqu'un dans la rue et que cette envie soit partagée par l'autre. L'idée qu'une caméra que je n'ai pas vue puisse ainsi voler cette tranche de vie me gène. En bref, sans sombrer dans la paranoïa, j'ai peur qu'une société urbaine panoptique (où l'on est regardé en permanence) trouble profondément une vraie liberté : le choix de la spontanéité. Pourrons nous être, dans un espace vidéosurveillé, cet être libre que nous propose d'être Sartre, débarrassé des rôles que nous impose l'espace social et qui sont un carcan déjà difficile à relâcher. Une remarque en passant, je suis fasciné par le fait que le père de "l'être et le néant" et les penseurs du libéralisme politique se retrouvent sur un point: la consubstantialité de la liberté et de la responsabilité. J'y reviendrai dans un futur post.
Pour moi la caméra nous rend moins libre et donc moins responsable. Attention à l'infantilisation croissante que génère l'évolution politique! La société de pouvoir nous emprisonne décidément dans une situation d'addiction et non dans celle de citoyens libres, autonomes et responsables. Non, décidément le Léviathan n'est pas mort. Continuons le combat.
Tiens, essayez donc de relire Foucault, il me semble que cela peut être un acte de résistance intellectuelle véritable. Il y a urgence!

vendredi 2 novembre 2007

Le Président et ses sous

Voila un bien beau cas de figure que l'annonce faite, ces jours ci, de la réforme du salaire présidentiel. Un vieil ami à moi, qui s'appelait Karl, ne disait-il pas que tout peut commencer par la revendication des ouvriers pour l'augmentation de leur salaire au sein de l'entreprise?
La boutade, outre le plaisir de la faire, il faut bien rire un peu, me semble renvoyer à un contexte idéologique qui a baigné la campagne présidentielle. La rationalisation des fonds publics passerait par une gestion proche de celle opérée, soit dans l'entreprise privée, soit dans le cadre de la situation individuelle (gérer son compte)!
Ce qui est là remis en cause, plus ou moins insidieusement, c'est la fameuse frontière entre le public et le privé, frontière qui, dans le domaine budgétaire et financier, se doit d'être étanche, sous peine d'être pénalement condamné.
Une réaction me vient : cette étanchéité, très française, remonte à un phénomène ancien, la prohibition canonique du prêt à intérêt. Au moyen âge et au début de la renaissance, l'influence du magistère papal commandait que l'argent ne soit qu'un moyen et non une fin. L'argent ne devait donc pas produire de l'argent. Seul le travail était producteur. Bien évidemment, il y avait des exceptions : les lombards et les cahorsins étaient exempts de cette obligation. Il y avait d'ailleurs, à l'époque, une forte proportion de juifs installés depuis des générations dans ces deux régions. Ne pouvant pas être artisans, ils se spécialisèrent dans les métiers du placement.
Je trouve très drôle que les autorités papales, interdisant le prêt et ne s'opposant pas clairement aux anathèmes portés contre les juifs (meurtriers supposés du Christ), ne se soient pas considérés comme tenus par leur propre règle, ils utilisèrent souvent les services de ceux envers qui ils portèrent, plus ou moins directement, l'anathème.
Il est vrai qu'un vieux principe du droit romain dit : nemo auditur propriam turpitudinem allegans, on ne peut se prévaloir de sa propre turpitude!
Même en ces temps de laïcité, l'héritage culturel demeure, et il nous saisit souvent par là où on ne s'y attend pas!
Corrélativement, je songe à une recherche biographique que j'ai réalisée il y a une dizaine d'année. Il s'agissait de retracer la vie d'un Lord anglais, Thomas Egerton, plus connu sous le nom de Lord Ellesmer. Tout se passe dans la première moitié du 17 ème siècle.
Cet homme, né d'une relation adultérine, donc bâtard et sans avenir théorique, va être pris en charge par une grande famille riche anglaise, les Grosvenore, qui vont, en quelque sorte, investir sur lui. Après un passage dans une Private School, puis à Oxford, il intègrera Lincoln Inn's Field, un des trois plus célèbres centre londoniens de formation juridique pour devenir avocat.
Puis il embrassera la carrière juridique et politique pour finir Master of the Rolls et même Lord Chancelor (l'équivalent de notre Rachida Dati nationale!). Au delà de sa réussite, on peut considérer son oeuvre juridique comme fondatrice de ce qu'on appelle encore aujourd'hui la common law (le droit commun anglo - saxon).
Durant cette épopée publique et politique, Egerton ne cessa de satisfaire en même temps ses intérêts privés, en favorisant les expropriations de petits propriétaires et en rachetant à vil prix leurs terrains. Il se constitua ainsi un véritable fief territorial. Il investit également dans l'équivalent anglais de notre Compagnie des Indes, etc...
Ce qui frappe dans la littérature anglaise, c'est le fait que "ce mélange des genres" ne choque pas, pire que tout cela est normal, voire remarquable.
Mon propos n'est pas de dire qu'un système est mieux que l'autre, mais de remarquer que nos systèmes juridiques et moraux sont le fruit de constructions historiques, donc humaines. Avant de juger, il me semble qu'il faut avoir cela en tête. Et je ne prêche surtout pas pour un quelconque relativisme.
Pour finir, je rêve d'un système véritablement démocratique où toute conception métaphysique de la société n'aurait pas d'influence dans l'espace public, et donc toute conception de nos règles de droit. En démocratie, les citoyens, ou leurs représentants devraient réfléchir incessamment sur le bien fondé des règles, et quand l'une d'entre elle est obsolète, oser en poser une autre.
Mais pour cela, il faut une haute conception de l'Homme, du social et de l'histoire. Espérons!

vendredi 26 octobre 2007

Chose Promise, chose due !

Dans un précédent post, j'avais parlé de BHL et de son livre, « ce grand cadavre à la renverse », en promettant d'y revenir, une fois le livre lu. C'est chose faite : acheté mardi 22 octobre à 17 h., achevé jeudi 23 à 23 h.

Je veux dire que je recommande ce livre, pour ce que j'y ai trouvé de riche et courageux, mais aussi pour les points volontairement aveugles qu'on y trouve et, du coup, sa contribution (volontaire et involontaire) à la grande question qu'il entend traiter : comment être de gauche aujourd'hui ?

Au chapitre des apports, il faut indiscutablement lui rendre hommage pour la très belle synthèse / interprétation du sens à accorder à ce qu'on a appelé la nouvelle philosophie. Il montre comment, par l'intermédiaire des contributions et engagements essentiels, de lui – même et de ses amis, un espace de l'esprit s'est ouvert, à gauche, sur le deuil des promesses marxistes, à partir du combat radical contre le goulag, Pol Pot et tous les potentats qui abusèrent systématiquement des espérances de peuples trop longtemps assujettis. Il montre ensuite, d'une manière extrêmement pertinente, comment aujourd'hui, la gauche est gagnée par la résurgence d'un autre péril : la soumission inconditionnelle au mythe de la nation, théodicée dangereuse, qui peut conduire jusqu'au risque totalitaire. A ce titre sa dénonciation de l'usage de Carl Schmitt, au delà d'une mode dangereuse, comme révélatrice d'une très vieux penchant préfasciste de la gauche française, est salvatrice. C'est bien là qu'est la pierre d'achoppement sur laquelle bute un Parti Socialiste qui préfère l'aveuglement au courage de son analyse. Enfin, il nous rappelle, quoique peut – être avec une affectation excessive, les liens structurels qui unirent les groupes islamistes avec le régime nazi sur un objectif commun atroce, au sens propre du mot : l'extermination des juifs. Enfin, il réhabilite l'humanisme comme projet universel assumé, à travers la promotion des Droits de l'Homme, et fustige le relativisme absolu comme le premier pas vers une possible perméabilité aux stratégies dangereuses des prénationalistes (ou franchement nationalistes) de tous poils, qui hantent plus que jamais la gauche, y compris les couloirs de la rue de Solférino.

Cet apport là est essentiel, il rassurera un nombre important de citoyens, de tous âges et de toutes conditions, sur un fait minimal mais prometteur : il reste encore des gens qui, assumant une identité de gauche, continuent à l'interroger, et, partant, à la faire vivre !

Au chapitre des regrets, il en est un qui « plombe » l'entreprise de BHL, le caractère intangible de sa posture platonicienne. Il croit, c'est son honneur (et il mérite le respect), que le monde des idées est bien un lieu, presque éthéré, où des possibles existent, libérés en partie des contingences sociales et humaines. Il est sans doute en partie vrai que la dynamique propre aux idées n'est pas celle des groupes sociaux. Mais, comme dirait Aristote, n'oublions pas que « tout ce qui se meut est mu ». Et, à ce titre, si l'on peut se louer du legs qu'il reconnait à ce géant intellectuel du 20 ème siècle qu'est Cornélius Castoriadis, on pourra regretter qu'il tienne si peu compte du message essentiel de « sujet et vérité dans un monde social - historique ». Le choix d'une posture philosophique surplombante, observant de son Parnasse une sociologie traversée par nombre d'influences qu'il juge perverses (les héritiers de P. Bourdieu), m'apparait comme contre - productive. Et disons le tout net, il y a grand danger à s'exfiltrer des problématiques du commun quand on souhaite s'interroger sur la politique. Il eut été, sans doute plus efficace de plaider pour une pédagogie accueillante de l'exigence républicaine pour dénoncer le populisme réellement à l'œuvre aujourd'hui : celui des antieuropéens et altermondialistes (ce dont je conviens avec BHL).

Enfin, et ce n'est pas le moindre des problèmes que j'ai pu ressentir à la fin de l'ouvrage : la justification du droit d'ingérence (que je soutiens par ailleurs) provient, selon lui, du legs judéo – chrétien, et donc de la laïcité qui en résulte (et il a raison sur ce point là encore), mais tout cela semble autoriser l'auteur à vouloir le bien d'autrui y compris contre son gré, ce que je ne saurais accepter.

Sur ce point, n'en déplaise à BHL, Freud et Lacan ont raison, mais aussi Ricoeur à sa manière, le « je », sujet désirant, est une réalité à laquelle nos vies doivent se confronter radicalement. Et ce n'est pas de tolérance qu'il s'agit, mais de démocratie !

lundi 22 octobre 2007

Là, c'est sûr, il faut en parler !

A l'invitation d'un commentateur assidu, je viens aborder ici l'enjeu européen, en pleine actualité, au lendemain du sommet de Lisbonne.
Force est de constater que cette question demeure particulièrement chaude, au moins dans les dispositifs de communication que sont les blogs. Pour dire, plus précisément ce que je vois, les citoyens qui souhaitent se saisir de cet enjeu comme vecteur de leur activisme politique, trouvent dans les blogs un lieu probablement propice pour leur stratégie. Pourquoi ?
Une première réponse est sans doute à rechercher dans la question, fondamentale, de l'identité européenne, ou du moins de son éventuelle existence. Pour aborder de manière inhabituelle la difficulté de cette question, faites donc un détour par ici. L'art nous dit parfois clairement des choses que les mots embrouillent. L'intelligence associative a, pour moi, droit de cité, autant que l'intelligence rationnelle. Cette histoire d'enlèvement et de viol originel qui marque le mythe Europe, me semble nous dire à quel point la construction d'une identité européenne doit être considérée avec attention, précaution et, sans aucun doute empathie. Empathie, cela veut dire être capable, sans renier sa personnalité et son point de vue, de se mettre à la place de l'autre pour comprendre (prendre avec) son point de vue.
Qu'une discussion sur l'enjeu européen doive se poursuivre, j'en suis parfaitement convaincu ; de la nécessaire présence des citoyens au coeur de ce débat j'en suis archi convaincu et archi partisan ! Mais qu'on vienne dire que le référendum est le "nec plus ultra" de la démocratie, alors là, pardon : non, je ne serai jamais d'accord avec cela ! Soyons clair, j'étais un partisan du traité, j'ai voté Oui, je ne le regrette pas ! En revanche, je dois dire que je porte le remords de la conduite atone des intellectuels favorables au Traité constitutionnel, hébétés que nous avons été par la remarquable mobilisation tous azimuts du camp du "Non".
J'en tire une leçon : dans la vie courante, on dit souvent que c'est plus facile de dire "oui" que "non", car dans cette seconde hypothèse il faut toujours justifier. Dans le cadre d'un référendum, cette réalité joue "à front renversé" : puisqu'il faut forcément argumenter pour dire "Non", le "non" est donc plus mobilisateur que le "oui" dans une campagne référendaire.
Abordons maintenant le problème de fonds : on nous dit souvent que l'enjeu c'est la Nation. C'est vrai, mais pas en terme de survie ou de disparition. L'enjeu me semble être la question de la nation en terme de croyance : doit - on continuer à croire en la Nation (ce qui était, ce qui est et ce qui sera), substitut laïc de l'idée de Dieu ? En ce qui me concerne, je pense que la question mérite un examen rationnel et sincère approfondi. Et il faut, pour cela, assumer la terrible expérience que nous a infligé le 20 ème siècle. Tout d'abord la capacité du mythe national à sombrer dans les totalitarismes les plus odieux et les plus systématiques (nazisme) ; ensuite, le succès de la nation qui conduit aujourd'hui la planète à tanguer entre deux abimes : le risque de l'hyperpuissance yankee ou la balkanisation généralisée de l'espace géopolitique mondial qui nous ferait retomber dans une multiplication de conflits proches de ceux qui mirent fin à l'époque féodale. La réalité d'aujourd'hui est claire, on peut la regretter, mais elle est là : la Nation ne protège plus, il ne faut donc plus y croire comme à une carapace protectrice de je ne sais quel Etat providence, à l'évidence rouillé, usé, bloqué.
J'irai même plus loin. Je comprend et je suis affectivement touché par les mobilisations qui se construisent sur le maintien de droits acquis. Mais il me semble que l'acquis des droits, et notamment des droits fondamentaux, ne peut se réaliser que dans un espace où l'on peut se projeter, où il existe, même si risque il y a, un avenir et un développement possible.
Autrement dit, avant tout autre enjeu, créer les conditions politiques permettant aux citoyens d'avoir un peu plus confiance dans l'avenir, de surmonter leur peur légitime de l'avenir, est La Priorité. Hors de cela, aucune émancipation humaine ne me semble possible, nous ne ferons que mariner dans un bouillon recuit de nostalgies aigres.
Prendre en main son destin, c'est oser regarder l'invitation que l'avenir nous propose, et le cadre européen, qui n'est pas parfait, qui est discutable, me semble le seul souhaitable.
Enfin, à tous ceux qui craignent pour l'identité culturelle et le modèle social français, pour qu'ils aient leurs chances, il faut leur donner un cadre dans lequel ils puissent démontrer leur bien fondé, leur actualité. Et là encore, à l'évidence, il me semble que le cadre européen est le seul possible. Comment imaginer sauver notre culture et notre modèle social dans un espace mondialisé et, de fait, soumis à la domination objective d'hyperpuissances existantes (USA) ou presque déjà advenues (Chine, Inde).
Mais pour accepter tout cela, il faut accepter une idée au moins : la politique est l'art du possible et la négociation, ce n'est pas se renier. Là encore, je vous invite à un deuil urgent : oublions le mythe de la Cité idéale, construisons d'arrache pied, en citoyen, concrêtement, la société de demain, ouverte, mais forte de son passé, de ses valeurs et de son histoire, dans un espace politique européen où leur transmission est encore possible.

Deux remarques d'actualité avant de finir : aujourd'hui j'ai un motif politique de joie, la défaite du premier ministre sortant conservateur et nationaliste en Pologne. Peut - être va t - on enfin voire la Pologne renouer avec sa tradition séculaire d'ouverture humaniste. Mais j'ai un motif de peine, la victoire d'un parti xénophobe eu pays du référendum : la Suisse. Espérons néanmoins que la lenteur légendaire de nos amis helvétiques soit aussi l'apanage de leurs nouveaux gouvernants. A mon sens, en Suisse, la réforme n'est pas urgente !!!

samedi 20 octobre 2007

Fallait - il que j'en parle ?

Pour reprendre une expression qui donna naguère son titre à une célèbre émission du samedi soir : tout le monde en parle !
De quoi me direz - vous ? Du divorce de Cécilia et Nicolas Sarkozy bien sûr.
Ce "concert" de commentaires laisse pantois, voire interdit car il s'agit d'abord, évidemment, d'une affaire intime, et plus, de ce lieu humainement sacré que devrait être l'intimité d'un couple. Mais voila, ce n'est ni de vous ni de moi, pauvres hères que nous sommes, mais du couple du Gouvernant (avec un grand G, insistons, si je puis dire sur ce point) qu'il s'agit!
Cette furie analytique, pour suspecte qu'elle soit, n'en révèle pas moins, me semble t - il, une face particulière du lien mystérieux qui unit le gouvernant aux gouvernés : une affaire (plus ou moins inconsciente) de corps et de désir.
Je tiens, en effet, pour vrai, qu'un très vieux stéréotype, anthropologique, gouverne encore aujourd'hui cet étrange rapport. Il me semble d'abord que pour trouver les ressources permettant de supporter cette épreuve qu'est la lutte pour le pouvoir, il faut, quelque part, s'imaginer comme un objet de désir (et pour le dire clairement de désir sexuel). Du coup, l'acte politique peut alors s'entendre comme un jeu où l'enjeu du corps est central ! L'acteur politique peut alors fantasmer sa conquête comme un assouvissement. Vis - à - vis de ses challengers, il prouve en gagnant sa "virilité" incontestable et vis - à - vis des gouvernés, il se rassure sur sa capacité de séduire.
Certes, mais ces derniers, avec lesquels il entend nouer une "relation particulière", sont à la fois des objets de désir (pour lui), mais aussi des sujets désirant. Et c'est là que commence le problème.
Car je tiens également pour vrai que les inconscients des gouvernés sont aussi structurés par un antique stéréotype : la pulsion cannibale. Autrement dit leur désir du corps du gouvernant est un désir de consommation pour accaparer ainsi la ressource que ce dernier possède en monopole (la coercition légitime).
Du coup, le gouvernant ne peut se sortir de cette ambigüité qu'en sublimant son corps. C'est la méthode classique, éprouvée, sur le modèle du Christ. Le chef va risquer son corps pour sauver la France. Tous les gouvernants ont usé de cela, surtout quand leur référence est particulièrement traditionaliste (au sens discutable du mot): par exemple ce sont les mots de Pétain pour justifier l'armistice et l'instauration du régime de Vichy : "je fais don de ma personne à la France". Dans un registre plus glorieux, Napoléon au pont d'Arcole est à l'avant - garde de ses troupes (même si la réalité historique est, dit - on, un peu éloignée de l'iconographie picturale).
Donc, tout va bien, tant que le gouvernant présente aux gouvernés un corps symbolique que ces derniers peuvent désirer accaparer. Ainsi, les barrières posées lors des déplacements présidentiels se justifient : ils pourront toucher ce corps, s'en sentir renforcés, et le gouvernant, dans l'exercice du bain de foule, réassurer le sentiment qu'il est toujours l'objet de ce désir.
Mais voilà, que se passe t - il lorsque est mise en scène la figure de l'épouse, comme révélatrice d'une sexualité présidentielle officielle assumée, montrée, revendiquée?
Jusqu'à Sarkozy, aucune femme de président n'était clairement mise en scène comme cela. Il s'agissait plus de l'épouse et de la mère que de la femme. Autrement dit, je ne suis pas loin de penser que la mise en scène d'un couple sexuellement amoureux dont l'un des partenaires est gouvernant est proprement insupportable encore aujourd'hui dans le tréfonds de nos inconscients.
Tout cela n'est pas très rassurant pour notre société, mais les mentalités sont ce qui évolue le plus lentement. Et finalement, qui gagne dans ce déferlement d'impudeur médiatique ? Je me demande sérieusement si ce ne sont pas nos fantasmes d'abord : il devient totalement désirable, on peut le plaindre et, ce faisant, on peut croire se l'accaparer enfin complètement.
La perversité est aussi au cœur de nos désirs et surtout de nos désirs politiques, ne l'oublions pas!

Dans un registre différent, je profite de ce post pour dire mon indignation vis - à - vis de l'autorité italienne de régulaton de la publicité. Elle vient d'interdire la campagne réalisée par Toscani, le célèbre publicitaire de Bénetton, sur l'anorexie. En complet contraste avec la tonalité du sujet précédent, je veux dire mon admiration pour cet artiste, car c'en est un, qui a montré que la publicité pouvait faire réfléchir en montrant de manière esthétique la crudité de la vie. Il y a dans ce travail quelque chose de profondément humaniste à mon sens. Et pour finir, je voudrais dire au mannequin qui a posé consciemment pour dénoncer l'horreur de l'anorexie qui marque son corps : vous êtes belle madame habillée du courage de votre nudité.
Honte à une institution qui préfère refouler le courage des créateurs et des êtres humains au nom d'un ordre public qui sent le moisi!

lundi 15 octobre 2007

Attention : essentialisation !

Ce post, comme les autres est avant tout un moment d'humeur!
Comme on dit en langage courant je peste! Ma colère se porte sur une tendance récurrente : l'essentialisation.
Mais qu'est ce que l'essentialisation : c'est, en gros, généraliser une opinion en imputant ce qu'on pense d'eux à la nature des personnes que l'on dénonce.
En partie, il s'agit d'un délit : par exemple dire que parmi les délinquants il y a un pourcentage élevé de telle ou telle catégorie (culturelle) d'individus n'est pas une essentialisation, cela peut découler d'une statistique avérée, mais en revanche dire : "on le sait bien, dès qu'ils arrivent, il y a de la délinquance", c'est essentialiser, c'est - à - dire laisser penser que leur nature est délinquante.
Autre exemple : compte tenu de mes opinions et de mes travaux, je connais bien ce qu'est le Front National et les militants qui sont à l'origine du FN. Ayant été souvent invité par des associations antiracistes, j'ai systématiquement dit que, bien qu'en sympathie avec la cause de Ras l'Front, je m'opposais profondément à leur slogan : "F comme fasciste, N comme Nazi, à bas le Front National". Il s'agit là encore d'une essentialisation. De plus elle est fautive car elle offre aux militants frontistes une autoroute leur permettant de démontrer à quel point ils ne sont ni fascistes, ni nazis. Ce qui est vrai, mais n'empêche pas que leurs opinions soient contestables.
Enfin, sans encore avoir lu l'ouvrage, je viens de lire ou d'écouter ce week end, les critiques portées à l'encontre de Bernard - Henri Levy. Là encore : je constate une crise compulsive d'essentialisation : plutôt que de discuter le fond de sa pensée, on lui conteste une légitimité à parler d'où il est. C'est - à - dire d'être ce qu'il est !
Je m'engage à dire dans ce blog ce que je pense de son ouvrage dès que je l'aurai lu (ce qui ne saurait tarder!) Mais pour l'instant, de grâce, cessons cette manie effroyable. Peut - on reprocher à Voltaire d'avoir défendu Callas, alors même qu'il fut l'historiographe officiel du Roi ?

vendredi 5 octobre 2007

Un parfum d'ancien régime

On apprend ce matin que le Procureur général d'Agen décide de résister face à la Ministre de la Justice.
Résumons, R. Dati, probablement pour de multiples raisons, mais officiellement afin d'encourager la féminisation du Parquet, propose à ce magistrat de terminer sa carrière dans un poste prestigieux (la Cour de Cassation), de façon à pouvoir nommer à sa place une magistrate et ainsi faire un pas symbolique dans l'égalité d'accès à ce type de poste.
Certes, on peut, au nom de la séparation des pouvoirs, comprendre et soutenir le Procureur agenais, sauf qu'il y a tout de même un problème : la différence symbolique profonde entre la magistrature assise (le siège) et la magistrature debout (le parquet). Ces derniers sont chargés de dire les intérêts de la société, et de ce fait, leur lien avec le ministre de tutelle n'est quand même pas de la même nature que celui des juges du siège. D'une certaine façon, les juges du siège se doivent de juger en toute indépendance, les procureurs sont porteurs du droit et d'une certaine lecture politique du droit, celle du pouvoir en place.
Cette résistance rappelle des périodes antérieures, notamment la résistance des Parlements à la veille de l'ancien régime.
Encore une fois si l'indépendance de la justice est bien une marque, un atout de la démocratie, et un progrès évident de ces vingt dernières années, le corporatisme de la justice est aussi une réalité historique qui peut lourdement porter préjudice à une société. Surtout quand celle - ci est en phase de mutation...

samedi 29 septembre 2007

Le week end, c'est le moment de sortir

Depuis Athènes, la place publique est sans doute l'un des lieux privilégiés de la politique, la vraie : celle, modeste, que nous autres citoyens construisons au jour le jour.
Pour le plaisir de l'art, votre réflexion, et pour vous amuser, allez donc visiter ce beau projet culturel, très politique : http://pupitres.blogspot.com
Bon week end!
PS : Merci à Jean - Charles de m'avoir signalé cet évènement.

vendredi 28 septembre 2007

Un petit truc de communication

On se pose souvent la question : mais qu'est ce qu'un bon slogan (en politique ou en markéting)?
Je me propose de vous donner quelques clefs simples pour répondre à cette question.
Il y a 3 règles absolues :
1) Le slogan doit être adapté au support de communication et, évidemment, au produit qu'il porte.
2) Il doit employer une syntaxe simple (les "300 mots de la concierge").
3) Il doit être sémantiquement univoque (dire une chose, et une seule!)
Pourquoi cela? Parce que la communication est le propre de l'Homme, et par conséquent doit satisfaire la loi du moindre effort (pour le récepteur).
Petit exercice, maintenant, pour démontrer ce que je viens de dire. Supposons que vous êtes (comme moi), disons... un peu hésitant dans la langue de Shakespeare! Parfait, pour notre affaire!
Je vous propose donc de traduire mot pour mot les deux slogans suivants et de tester le résultat sur un (une) de vos ami(e)s british ou yankee :
1) DEMAIN TOUT DEVIENT POSSIBLE
2) LA FRANCE PRESIDENTE
Etonnant non?

mercredi 26 septembre 2007

Débat constitutionnel : quelle nouvelle?

J'ai lu dans la presse une nouvelle importante, ce matin F. Hollande a fait savoir à la commission chargée de réfléchir sur la réforme constitutionnelle que, grosso modo, la préférence du PS allait dans le sens d'une inflexion parlementaire, plutôt que vers... Et c'est là que le problème commence. On lit dans la presse, de manière indifférenciée : présidentialisation du régime ou évolution vers le régime présidentiel.
Un blog comme celui là, est fait pour revenir à des fondamentaux : les deux concepts ne veulent absolument pas dire la même chose.
Un régime présidentiel est un régime de séparation stricte des pouvoirs.
Un régime présidentialiste est un régime de confusion des pouvoirs au profit du Président de la République.
Du coup, si l'objectif est de renforcer le pouvoir du parlement, le modèle parlementaire ou le modèle présidentiel, chacun à leur manière, peuvent convenir. Le débat dans ce cas est ailleurs, en fait : quel est le meilleur moyen de faire collaborer pouvoir éxécutif et législatif en respectant un équilibre de puissance entre les deux?
Mais à mon sens, je crains que les modifications en vue ne viennent que renforcer une évolution de fait : l'hyperprésidentialisation du régime. Si c'était le cas, cette réforme viendrait, après le quinquennat, enlever toute la souplesse et l'intérêt, je dirais même le génie de la 5 ème République.
Mais, plutôt que gémir, espérons que nos gentils "commissionnaires" ne nous fassent pas .... une grosse commission!!

dimanche 23 septembre 2007

Ouverture

Ceci est le premier post de ce blog.
Je m'appelle Jean - Philippe ROY, je suis Politologue, Universitaire à Tours.
L'objet de ce blog est d'échanger sur la politique en général, sur la communication, e sur tous les sujets de société que l'actualité ou notre (parfois mon) humeur s'autorisera.

Tiens, voici une première réflexion :

Attaquons franchement un des sujets qui me tiennent à coeur : j'ai le sentiment que la classe politique française, et nous autres simples citoyens, confondons de plus en plus souvent esprit de résistance et esprit de réaction. Ne serait ce pas un des problèmes majeurs du "peuple de gauche" et de ses représentants politiques ?
Est ce qu'à vouloir, souvent à raison, défendre les droits acquis, on ne risque pas d'apparaître comme des néocorporatistes? Et c'est un fonctionnaire qui parle, très attaché au service public et la mission qui en découle (si si, des comme moi il y en a encore beaucoup!)?

Bon, je n'en dis pas plus, j'attends de vous lire!