mercredi 14 novembre 2007

Les délices de la complexité sociale

La situation sociale que nous vivons me parait éclairer la complexité qui peut naitre entre un corps social qui a ses logiques internes propres et une représentation qui pose problème.
Je m'explique : il n'est évidemment pas question ici de contester le droit de grève, le droit syndical et le bien fondé de centrales puissantes agissant pour la défense des intérêts des salariés, y compris, si cela est nécessaire par le recours au blocage.
Le problème que rencontre aujourd'hui, et le gouvernement et les centrales syndicales est que, par leur histoire propre, l'interaction prend la forme d'un conflit alors que les deux instances, politique d'un coté, syndicales de l'autre, sont bien plus des partenaires, dans la réalité. En effet, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et d'ailleurs sous l'égide du Général de Gaulle, s'est déployé en France une pratique des relations sociales qui relève de l'oxymore : le "paritarisme tripartite".
En clair, ce qui devrait être une relation à deux, celle qui s'instaure entre le patron et le syndicat est en fait une relation à trois. L'Etat interventionniste de 1945, devant agir pour la relance de l'économie a jugé nécessaire de s'investir dans les relations sociales, et les syndicats ont jugé alors profitable de jouer ce jeu. C'est alors qu'est apparu la figure du "syndicat représentatif", label qui donne à l'institution syndicale qui en profite, la capacité d'être, à la fois le défenseur d'une catégorie sociale contre le gouvernement quand il le faut, et le partenaire reconnu de l'Etat dans les organismes de gestion du système social (Unedic, Assedic, etc...).
Cette situation avait sa justification dans le contexte des années 50 et 60. Il a pu apporter un certain nombre d'acquis dans les deux décennies qui ont suivi.
Mais aujourd'hui, on a le sentiment d'observer un jeu symbolique entre le gouvernement et les syndicats qui relève d'un mécanisme bien connu en psychologie : préférer le phantasme au réel pour espérer en tirer un bénéfice secondaire, au risque de faire ultérieurement l'expérience douloureuse de la chute du phantasme.
Si je résume : la déclaration de B. Thibault (CGT), hier, acceptant finalement la négociation entreprise par entreprise, avec la présence d'un représentant de l'Etat, témoigne d'une perception du dialogue social où les syndicats se sentent plus en confiance avec la présence d'un représentant du pouvoir dans le jeu. N'y a t - il pas là une preuve de la faiblesse syndicale réelle qui plombe profondément le dialogue social en France. Au fond, tout se passe comme si les syndicats semblaient devoir se promener avec une "bouteille à oxygène" gouvernementale pour pouvoir poursuivre les actions conflictuelles ou mener à bien les phases de négociation qu'ils ont entamé.
De son coté, même si le modèle de l'Etat interventionniste n'est plus vraiment de mise dans une économie mondialisée, tout se passe comme si le gouvernement au risque du déni de la réalité, entre dans ce "bal", considérant probablement que son poids peut jouer un rôle et limiter, probablement, les risques induits par un conflits social en terme de notoriété.
En prenant du recul, on a ainsi l'impression d'assister à deux représentations théâtrales gigognes celle du paritatrisme tripartite qui n'a plus aucun sens et la scène du conflit social dans la rue qui oblitère, me semble t - il l'angoisse syndicale et gouvernementale : continuer à sembler jouer un vrai rôle sur le terrain social alors que le cadre de référence et la réalité des rapports de force a radicalement changé.
Encore une fois, ce conflit va peut - être aboutir à une négociation, mais probablement en utilisant l'agenda (les régimes spéciaux) pour expérimenter s'il est encore possible de donner le change (ne pas toucher aux règles de la représentativité syndicale et feindre de ne pas s'inquiéter du faible taux de syndicalisation) et finalement se rendre compte si des bénéfices immédiats peuvent être tirés de cette situation par le gouvernement et les syndicats.
Le problème est que le salarié (et le citoyen en général) n'est pas vraiment au coeur de ce qui se négocie réellement actuellement. Et cela est mortifère et pour les syndicats, et pour le gouvernement à terme.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Well said.