vendredi 2 novembre 2007

Le Président et ses sous

Voila un bien beau cas de figure que l'annonce faite, ces jours ci, de la réforme du salaire présidentiel. Un vieil ami à moi, qui s'appelait Karl, ne disait-il pas que tout peut commencer par la revendication des ouvriers pour l'augmentation de leur salaire au sein de l'entreprise?
La boutade, outre le plaisir de la faire, il faut bien rire un peu, me semble renvoyer à un contexte idéologique qui a baigné la campagne présidentielle. La rationalisation des fonds publics passerait par une gestion proche de celle opérée, soit dans l'entreprise privée, soit dans le cadre de la situation individuelle (gérer son compte)!
Ce qui est là remis en cause, plus ou moins insidieusement, c'est la fameuse frontière entre le public et le privé, frontière qui, dans le domaine budgétaire et financier, se doit d'être étanche, sous peine d'être pénalement condamné.
Une réaction me vient : cette étanchéité, très française, remonte à un phénomène ancien, la prohibition canonique du prêt à intérêt. Au moyen âge et au début de la renaissance, l'influence du magistère papal commandait que l'argent ne soit qu'un moyen et non une fin. L'argent ne devait donc pas produire de l'argent. Seul le travail était producteur. Bien évidemment, il y avait des exceptions : les lombards et les cahorsins étaient exempts de cette obligation. Il y avait d'ailleurs, à l'époque, une forte proportion de juifs installés depuis des générations dans ces deux régions. Ne pouvant pas être artisans, ils se spécialisèrent dans les métiers du placement.
Je trouve très drôle que les autorités papales, interdisant le prêt et ne s'opposant pas clairement aux anathèmes portés contre les juifs (meurtriers supposés du Christ), ne se soient pas considérés comme tenus par leur propre règle, ils utilisèrent souvent les services de ceux envers qui ils portèrent, plus ou moins directement, l'anathème.
Il est vrai qu'un vieux principe du droit romain dit : nemo auditur propriam turpitudinem allegans, on ne peut se prévaloir de sa propre turpitude!
Même en ces temps de laïcité, l'héritage culturel demeure, et il nous saisit souvent par là où on ne s'y attend pas!
Corrélativement, je songe à une recherche biographique que j'ai réalisée il y a une dizaine d'année. Il s'agissait de retracer la vie d'un Lord anglais, Thomas Egerton, plus connu sous le nom de Lord Ellesmer. Tout se passe dans la première moitié du 17 ème siècle.
Cet homme, né d'une relation adultérine, donc bâtard et sans avenir théorique, va être pris en charge par une grande famille riche anglaise, les Grosvenore, qui vont, en quelque sorte, investir sur lui. Après un passage dans une Private School, puis à Oxford, il intègrera Lincoln Inn's Field, un des trois plus célèbres centre londoniens de formation juridique pour devenir avocat.
Puis il embrassera la carrière juridique et politique pour finir Master of the Rolls et même Lord Chancelor (l'équivalent de notre Rachida Dati nationale!). Au delà de sa réussite, on peut considérer son oeuvre juridique comme fondatrice de ce qu'on appelle encore aujourd'hui la common law (le droit commun anglo - saxon).
Durant cette épopée publique et politique, Egerton ne cessa de satisfaire en même temps ses intérêts privés, en favorisant les expropriations de petits propriétaires et en rachetant à vil prix leurs terrains. Il se constitua ainsi un véritable fief territorial. Il investit également dans l'équivalent anglais de notre Compagnie des Indes, etc...
Ce qui frappe dans la littérature anglaise, c'est le fait que "ce mélange des genres" ne choque pas, pire que tout cela est normal, voire remarquable.
Mon propos n'est pas de dire qu'un système est mieux que l'autre, mais de remarquer que nos systèmes juridiques et moraux sont le fruit de constructions historiques, donc humaines. Avant de juger, il me semble qu'il faut avoir cela en tête. Et je ne prêche surtout pas pour un quelconque relativisme.
Pour finir, je rêve d'un système véritablement démocratique où toute conception métaphysique de la société n'aurait pas d'influence dans l'espace public, et donc toute conception de nos règles de droit. En démocratie, les citoyens, ou leurs représentants devraient réfléchir incessamment sur le bien fondé des règles, et quand l'une d'entre elle est obsolète, oser en poser une autre.
Mais pour cela, il faut une haute conception de l'Homme, du social et de l'histoire. Espérons!

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