dimanche 18 novembre 2007

Il y a mouvement et mouvement

En ce dimanche 18 novembre, la situation sociale, telle qu'elle nous apparait à travers les médias, semble particulièrement illisible. Et, effectivement, le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'est pas simple!
Sans prétendre la rendre limpide, ce qui serait vraiment présomptueux, on peut néanmoins isoler quelques éléments pour s'y retrouver quand même.

1) Un premier point mérite d'être souligné : une mobilisation collective est toujours un moment où s'instaure un face à face entre "l'argument de la force" et "la force de l'argument". Pour le dire autrement, un conflit social est une phase où l'on considère légitime que s'exprime une émotion, y compris de manière forte. C'est bien cette tension "émotion" - "raison" qui est la caractéristique de ce qui se joue dans une mobilisation et qui tend à faire une distinction entre "qui craque" et "qui tient". Autrement dit encore, gagner à terme, c'est s'approcher le plus possible de ce qu'on estime, à froid, pouvoir obtenir, modulo, bien sûr, le contexte du conflit tel qu'il se déroule.
Dans le conflit SNCF-RATP, la scène de conflit serait simple si l'on pouvait la résumer à un duel entre les ouvriers d'un coté et leur patron de l'autre. En fait il y a au moins quatre, voire cinq instances à distinguer.
Tout d'abord, le gouvernement et sa réforme, là, on voit bien, son intérêt c'est réaliser sa réforme au mieux et agir de telle manière que le présent contexte ne se retourne pas contre lui en terme d'opinions.
Ensuite, les entreprises concernées sont des quasi - acteurs. Elles représentent bien des contextes particuliers dans lesquels se posent des problèmes de conditions de travail et de management spécifiques, mais leur marge de manoeuvre est très limitée car l'Etat est actionnaire majoritaire, voire unique, et les règles juridiques ne leur laissent que très peu d'espaces de négociation. Du coup, les intérêts de ces entreprises sont très hybrides : ceux d'un service public classique, mais aussi ceux d'une entreprise soumise à une logique de marché. On voit bien que le caractère profondément hybride de ces instances ne permet pas de les situer comme des pièces maîtresses dans la résolution de la crise.
En troisième lieu, il y a les centrales syndicales. Si j'osais, sans malice, une image, je dirais que le "marché syndical français" a deux caractéristiques : d'une part il n'est pas très dynamique, il n'attire pas beaucoup de "clients", d'autre part il est hautement concurrentiel. J'ajouterai volontiers qu'il souffre d'une phase de sédimentation originelle qui date de 1945 et qui englue sa capacité à se développer (cf. post précédent). Autrement dit, tout acte d'une centrale syndicale au niveau national doit s'analyser d'abord et avant tout comme un "sauve qui peut" institutionnel : "il faut sauver la boutique"! Ce point est essentiel car c'est à partir de lui que se crée un hiatus potentiel au sein de la mobilisation. Et ce hiatus est à la fois vertical et horizontal. Verticalement, il va se décliner avec les différentes branches du syndicat considéré, puis in fine, avec la base mobilisée, et ces trois niveaux n'ont pas forcément les mêmes intérêts, nous verront plus loin. Horizontalement, un hiatus est patent entre syndicats qui se disputent une très faible représentation des salariés. Cette concurrence, de plus, est faussée puiqu'elle s'instaure entre des acteurs de premiers plans, reconnus institutionnellement par le pouvoir - les syndicats représentatifs - et d'autres syndicats qui ne jouissent pas de ce label. Aussi n'est - il pas étonnant qu'on rencontre chez ces derniers soit des syndicats radicalisés, type SUD, soit des syndicats maisons, peu aguerris à la culture du conflit.
Quatrième catégorie d'acteurs : les branches syndicales. On voit bien, à travers la figure de M. Le Reste, responsable des cheminots CGT, qu'il y a quelque chose qui se joue de spécifique à ce niveau là. Sans mauvais esprit, ni intention maligne, un petit détour historique peut, sans doute expliquer l'importance de ce niveau d'organisation dans le système : en 1995, dernière grosse crise sociale de référence, qui était à la place de M. Le Reste? Réponse : M. B. Thibault. Autrement dit, au sein même de l'organigramme d'une centrale syndicale, le devenir personnel d'un responsable de branche tient à sa propre efficacité dans les mobilisations. Tout était homogène au sein de la CGT tant qu'il n'y avait pas débat sur son syndicalisme de rupture habituel. Aujourd'hui la mutation tentée par B. Thibault vers une CGT réformiste ouvre à M. Le Reste l'opportunité d'apparaitre visible et lisible par une base qui n'a pas fait son aggorniamento stratégique et idéologique. Il peut, au sein de sa propre centrale syndicale, se poser en s'opposant à B. Thibault. C'est sans doute ce fait là qui est la figure la plus innovante du conflit actuel.
Dernière instance, mais ce n'est pas la moindre, celle qu'on appelle parfois trop facilement "la base", avec un soupçon de distance qui ne sied point. Rappelons d'abord que ce sont des êtres humains, dotés d'une conscience, de revendications. Rappelons aussi, même si ce n'est pas très populaire, que faire une grève, ce n'est pas faire la fête! Rappelons qu'à terme, celles et ceux qui manifestent, bloquent, payent le prix de leur choix et qu'à la fin du mois leur salaire sera amputé. Ce ne sont donc pas des irresponsables. Ils peuvent apparaitre comme les plus sourds à la raison institutionnelle et politique, mais ce sont eux qui forment les troupes et la force de la mobilisation. Il en va donc de la légitimité des centrales syndicales d'éviter toute évolution vers des formes anarchiques et autonomes de la mobilisation. Mais les syndicats ont ils aujourd'hui les moyens de leurs fonctions? Cette question est centrale car c'est d'un contact non régulé entre une base mobilisée et des citoyens génés par le blocage que peut éclater une bombe.
Tout est là, la mobilisation, encadrée par des organisations syndicales prend une forme symbolisée, ritualisée ; le basisme, au contraire, c'est l'inconnu et l'improbable!

2) Du coté des étudiants nous en sauront plus très vite. Mais il me semble que le problème se pose de manière très différente. Tout d'abord, il y a dans l'opinion publique une sympathie naturelle pour les étudiants qu'on ne retrouve pas forcément envers les salariés. Dans nos représentations inconscientes, ils sont sensés représenter à la fois "l'avenir" et sont un peu "nos enfants". Ensuite, leur argumentation contre la loi Pécresse tape sur trois arguments assez judicieux : la représentativité au sein de l'instance dirigeante que sera le Conseil d'Administration des universités, la faiblesse des moyens engagés et, de fait, la rationalisation des filières qui se fera sur des logiques d'utilité économique et sociale.
Même si je crois que ces trois points, discutables, ne justifient pas une opposition radicale à la mise en œuvre de la réforme, force est de constater qu'il y a trois objections qui sont bienvenues et qui méritent d'être prises en compte.
Enfin et surtout, gare à un mouvement étudiant, gare à tout débordement d'autorité, le syndrome Oussekine plane dans les inconscients politiques. Face aux étudiants, le pouvoir est toujours plus désarmé (ou mal armé) que face à des salariés.

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