mercredi 26 mars 2008

Le blog prend du galon

Chères amies, chers amis,
Ce post est destiné d'abord à vous remercier pour vos visites et remarques. Elles ont contribué à donner à ce blog un certain lustre.

Il a été remarqué et désormais il devient POLITICOM' que vous pourrez retrouver sur le site de Rue89, à l'adresse suivante : http://www.rue89.com/politicom

Il va débuter incessamment et je vous invite à nous y retrouver très vite.
Jean - Philippe ROY


vendredi 14 mars 2008

Au coeur du spectacle électoral, une Femme crie au secours!

En même temps que se déroule un scrutin, à la fois national et local, quoi qu'on en dise, c'est à dire où l'on parle des problèmes quotidiens des gens, problèmes qui sont la matière noble de la politique, une femme qui souffre atrocement demande à mourir dignement.
Ici aussi il y a politique, et l'honneur de la démocratie est de se saisir de cet appel, de ce cri humain, digne et courageux.
Je ne voudrais pas ici parler pour des professionnels (les soignants) qui sont en contact direct, tous les jours, avec l'humanité souffrante, je ne souhaite pas parler, non plus , à la place des élus qui ont la légitimité de l'onction démocratique. Je veux tout simplement parler en tant que citoyen, essayer de tenir un propos humaniste qui me semble devoir être celui d'un héritier du siècle des Lumières. Cette parole ne prétend pas être admirable, ni consensuelle, elle a pour seule ambition d'être sincère et authentique.
1) On parle souvent de "suicide assisté" et je dois dire que, pour choquante que paraisse cette expression, c'est pourtant bien celle qui est la plus appropriée. En effet, pour réfléchir sereinement, il convient, me semble t - il, de circonscrire toute dimension de culpabilité au strict cadre de la conscience personnelle, c'est - à - dire à l'intime de l'individu, domaine propre et proprement incommunicable, donc non susceptible de jugement. Si l'Homme est libre, ce que je tiens pour vrai, il possède donc en propre le droit de disposer de son propre corps. Le suicide n'est donc pas un crime. Et même si cette phrase est lourde de sens, peut - être même provoquante aux yeux de certains, je crois qu'il s'agit de la liberté ultime que détient tout individu dans des situations extrêmes. Rappelons nous le geste de Claude Pierre - Brossolette qui se donna la mort plutôt que de parler à la Gestapo.
Il ne s'agit pas pour autant de faire l'apologie du suicide qui est souvent la conséquence d'une souffrance incommensurable ou d'une situation extrême, mais il convient une bonne fois pour toute d'affirmer que notre corps nous appartient et qu'on est libre d'en disposer.
2) Cette libre disposition de son corps doit être reconnue à toute personne qui, en pleine conscience, décide de mettre fin à ses jours, car pour terrible que soit cette décision, elle appartient à la personne elle même. S'il est probablement loisible de l'aider à sortir d'une dépression qui dans une phase aigue risque de lui faire perdre un certain discernement, il est en revanche proprement honteux, alors qu'elle n'a pas les moyens matériels de se donner la mort, de lui refuser l'ultime liberté qui la constitue en tant que personne.
3) Les mots de Mme Christine Boutin, ce matin, sont indignes d'un ministre de la République. Ils devraient être sanctionnés par une démission immédiate. En la matière, il n'y a ni compassion à avoir, ni indulgence, il s'agit de valeurs, celles qui fondent notre conception de l'Homme depuis la renaissance et le XVIII ème siècle.
4) Enfin, le sujet de l'euthanasie - je préfère encore une fois l'expression "suicide assisté" - est l'objet d'une lutte d'influence entre réseaux de médecins qui ont choisis, apparemment, soit une position radicale, l'ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité), soit de mettre en oeuvre la fameuse loi Leonetti, le réseau de soins palliatifs. Malheureusement, l'antique tendance à préférer se distinguer plutôt que discuter, conduit à de fausses oppositions. A titre personnel, je pense que les deux points de vue sont susceptibles de cohabiter et les deux attitudes peuvent trouver un terrain de cohérence, pour peu que le bon sens l'emporte sur l'imperium des egos. Pour peu aussi que les soignants acceptent aussi, mais il s'agit là d'un "gap" énorme, qu'aider à mourir, dans certaines situations, est à proprement parler prendre soin de "l'humaine condition".

dimanche 2 mars 2008

Résister plutôt que réagir

Résistance et réaction, voici deux mots qui sont politiquement très différents, mais aussi et surtout moralement opposés (car la politique c'est aussi de la morale).

Qu'est ce que résister ? On peut, je crois s'accorder sur le fait qu'un acte ou une attitude de résistance se fonde d'abord et avant tout sur la certitude du bien fondé d'une valeur ou d'un principe, y compris quand celui ci est envisagé dans un espace historique et sociopolitique concret. Par exemple, en France, les multiples prises de positions actuelles sur la laïcité relèvent, me semble t - il, de la résistance : il s'agit de préserver une forme du principe de laïcité, dans la particularité de sa construction politique et socio - historique française, générant notamment la forme très originale de la séparation mise en oeuvre en 1905. Au delà de ce qu'interdit, encadre, cette législation, il s'agit aussi de préserver la liberté individuelle de croire ou de ne pas croire, et assurer l'individu que, du point de vue de sa citoyenneté, ses convictions personnelles ne seront pas l'objet de discriminations. Il s'agit en fait d'un moyen très élaboré de réussir la compatibilité entre le pluralisme d'opinions et l'égalité de condition civique.
Disons le, c'est un petit bijou dont il faut être fier, un diamant hérité qu'il faut entretenir et continuer à tailler pour qu'il perdure!
Un acte de résistance doit donc toujours être justifiable au plan des principes et nécessite une capacité à s'en expliquer dans le registre de l'argumentation politique et morale!

Réagir, c'est un peu différent, il s'agit, me semble t - il d'un mouvement individuel ou social, profondément inscrit dans l'émotion. J'aurais tendance à dire que la dimension émotive de la réaction est même l'essentiel du phénomène. Du coup, la réaction est, si je puis dire sujette à caution. Il en est évidemment de saines, d'autres qui le sont probablement moins. Autrement dit, dans un pays comme la France, où la sociabilité se fonde plus sur le dépassement des dissensions que dans la recherche positive du consensus (ce qui n'est pas forcément un drame!), il est des révoltes héroïques (la Commune, les manifestations entre les deux tours de l'élection présidentielle de 2002), il en est de moins positives (le 6 février 1934, le poujadisme). Ces formes contestables de réactions sont souvent gouvernées par le conservatisme, qu'il soit corporatiste ou idéologique.

Pour comprendre, dans l'actualité, les enjeux portés par cette distinction, il me semble urgent et nécessaire de lire un ouvrage fort intéressant:
T. Frank, "Pourquoi les pauvres votent à droite", 2008, Paris, coll. Contre - Feux, Agone. Le sous - titre du livre est encore plus explicite : "Comment les conservateurs ont gagné le coeur des Etats - Unis (et celui des autre pays riches)".
Dans ce livre, vous trouverez, décliné de manière assez directe, un récit concernant l'Etat du Kansas. C'est un Etat particulièrement intéressant pour notre réflexion, car on est là au coeur du Midwest, dans un territoire agricole, prolétarisé depuis le début du 20ème siècle, où est né le populisme américain. L'émotion des classes populaires est une constante socio - historique du kansas. La nouveauté, c'est qu'à partir de Reagan et encore plus précisément de Bush, la révolte, c'est - à - dire la radicalité populaire a été récupérée par les néoconservateurs religieux. Du coup, cet Etat qui votait historiquement à gauche, s'est mis, dans les années 90 à voter républicain et à prendre des positions de plus en plus rigides sur le plan des valeurs morales : contre l'avortement par exemple, et en faveur de l'enseignement des théories créationnistes (anti darwinienne) à l'école par exemple.
On trouve aussi dans cette analyse un fait très intéressant: quand les républicains sont arrivés au pouvoir, avec Reagan puis plus tard avec Bush père et Bush fils, il s'agissait d'une coalition composés d'ultra - capitalistes (les libertariens) et de d'ultras conservateurs religieux. Et ce sont ces derniers qui ont fini par avoir le dessus, car les valeurs qu'ils défendent ont trouvé un écho dans le désarroi des classes populaires, leur inquiétude et la demande d'ordre qui en résulte. Dans un contexte global ultra capitaliste, à la morale profondément relativiste (les plus riches sont concrètement toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres), la morale religieuse fonctionne comme un refuge, quelque soit le fond des valeurs et leurs conséquences délétères pour les intérêts des plus fragiles et de la société en général. Conséquence concrète : depuis presque plus de vingt ans, les populations les plus pauvres du Kansas votent systèmatiquement contre leurs intérêts objectifs, et les néoconservateurs républicains, les prédicateurs de tous poils, surfent sur cette vague.

Au lieu de réagir, si nous réfléchissions : il me semble urgent de chercher où se trouvent les néoconservateurs dans le pouvoir actuel en France. Les discours du Latran ou de Dakkar ne sont - ils pas la trace, la signature de ce courant? Notre vigilance républicaine, ainsi aiguisée, on pourra sans doute porter un regard plus incisif sur le pouvoir actuel, et en conséquence plus efficace.

Evidemment, cette même ligne de conduite est applicable à l'opposition qui n'est pas, elle non plus, à l'abri de ce mal, même si ce dernier prend probablement là d'autres formes.

Dernière minute, on y reviendra, je signale une excellent papier dans le non moins excellent site Rue 89. Il est à lire ici.

dimanche 24 février 2008

autodéprésidentialisation

Oui, je sais, ce n'est pas facile à prononcer! C'est pourtant le néologisme qu'utilise ce matin Jean - Luc Parodi dans le commentaire qu'il porte sur le sondage IFOP du JDD. Il parle de ce que N. Sarkozy semble se faire à lui - même!
Je ne le commenterai pas, tant la "prudence de sioux" de cet expert en institution et en évolution de popularité se manifeste dans son papier.
Il a certes raison de dire que les élections municipales possèdent un "régime" très spécifique et des enjeux politiques et personnels locaux qui "jouent à plein". Mais il souligne aussi que c'est la première fois qu'un Président fraichement élu "dévisse" autant dans les sondages de popularité, en même temps que son Premier Ministre atteint des sommets qui évoquent, en comparaison, l'Himalaya.
Nous voici donc, comme le disait souvent notre regretté René Rémond, "à front renversé" par rapport à l'habitude de la cinquième république.
Deux remarques:
1) Cela m'évoque le début du mandat de Georges Pompidou. son Premier Ministre d'alors, Jacques Chaban Delmas, avec sa "nouvelle société", semblait sérieusement concurrencer, et ce de manière autonome, la popularité du Chef de l'Etat. La situation est rapidement devenue insupportable pour ce dernier, et le fidèle P. Mesmer devint le second Premier Ministre de l'ère pompidolienne.
2) "L'embellie fillionnesque" m'évoque ce qu'on pourrait nommer une popularité de soulagement. Comme si les français découvrant une facette insoupçonnée de N. Sarkozy, trouvait en la personnalité très différente du Premier Ministre une bouée de sauvetage. Ceci dit, on cherche la bouée quand on est sûr d'être dans le naufrage!

La crédibilité de l'exécutif est bien sérieusement mise en cause, directement ou indirectement!

dimanche 17 février 2008

Sortons calmement les boussoles

Depuis un an, le paysage de la presse écrite nationale française a bien évolué. Un des faits majeurs, qui mérite d'être salué, c'est, à Marianne, dans un contexte tellement hostile, le maintien d'une ligne éditoriale critique et néanmoins (pour partie) identifiable idéologiquement.
Le dernier épisode de cette aventure, fort sympathique, est la pétition dont on peut prendre connaissance ici.
Plusieurs points méritent d'être posés pour éclairer le lecteur de ce blog.
1) En premier lieu, on ne peut que se réjouir d'une telle initiative, quelque soit l'opinion qu'on a de l'actuel Chef de l'Etat. Observer des personnes ayant exercé et/ou exerçant des responsabilités politiques de premier ordre se soucier de la République est un véritable réconfort, voire la preuve que le souci du bien commun n'a pas disparu des préoccupations de nos élites. Ce n'était peut - être pas si évident pour nombre d'élus et d'électeurs, voila qui semble venir prouver le contraire. Est ce à dire que, pour autant, l'antidote au populisme est "dans la seringue" que constitue cette démarche?
2) En second lieu, derrière l'éventail apparemment large des pétitionnaires (droite et gauche confondues), j'observe une forte majorité de personnes qui me semblent marquées par une certaine "tentation jacobine". Je ne leur fais pas un procès, je ne mets pas en doute la sincérité de leur signature et de leur opinion, mais on peut trouver un point commun fort entre toutes ces personnes : leur attachement idéologique à la notion de nation. Cette fiction, quelque peu transcendante, en laquelle il faudrait absolument croire pour être un "bon républicain".
3) Les commentaires des internautes sont au moins aussi intéressants que le contenu et du préambule introductif et de la pétition elle - même : nombres d'internautes, notamment les plus sensibles à l'argumentaire de la pétition, crient : et nous la dedans, peut - on signer? On veut participer! Je ne doute pas de la suite de l'opération, il me semble évident que cette pétition s'ouvrira, mais le dispositif d'annonce, ouvert aux élites, fermé aux gens du commun, me semble typique d'une certaine conception fossilisée de la société, en tout cas foncièrement fondée sur une vision binaire et archaïque de la politique.

Il me semble qu'à bien des égards, la France est très différente des USA, néanmoins avec un tout petit peu d'agilité et, au risque de la témérité, rappelons comment s'est construit le projet politique américain : quand les religieux puritains du Mayflower quittent l'Europe pour la côte Est de l'Amérique, leur projet est de vivre au quotidien leur foi dans l'espace public. Ils ont alors recours à ce qu'on appelle les town meetings, ces réunions d'habitants, se fixant en un endroit, faisant cité, et décidant, entre croyants égaux, du devenir de leur communauté. C'est de là qu'est né le projet démocratique et émancipateur qui conduira à l'indépendance américaine. C'est aussi de là que l'on comprend à quel point religion et politique sont confondus aux USA, Dieu ne posant pas problème puisqu'il est omniprésent et objet d'une relation personnelle chez chaque citoyen quelque soit sa croyance.... à une exception près : quand sa croyance est l'absence de croyance!
Raviver chez nous l'ontologie républicaine me semble un projet souhaitable, digne d'intérêt et d'engagement, mais peut - il se faire en recyclant les vieilles structures, les vieilles lunes, les antiques barrières sociales et politiques ? Non, il me semble que reconstruire la République laïque, c'est d'abord se soucier de la base, du citoyen, de ses aspirations. Encore une fois, même si sur nombre de points on peut être critique envers le marxisme, l'analyse des cinétiques sociales établie dans le capital et dans le manifeste demeure un apport de connaissance essentiel : ce n'est jamais la superstructure qui fait bouger l'ensemble, c'est l'infrastructure.
Mais pour cela il convient de ne pas jeter sur les citoyens ordinaires, et notamment les plus précarisés, un regard surplombant et décalé.
Sur la république et la laïcité, il faut faire confiance au peuple, à sa voix, à son intelligence individuelle et collective. Et rappeler encore que le message républicain est universel et non national, que la conception laïque "à la française" estégalement un point de vue que l'on peut défendre "en soi et pour soi", mais ce faisant aussi pour l'altérité. Enfin, rappelons nous le dernier discours de François Mitterrand, à la fin de son second mandat : "le nationalisme c'est la guerre". Les adorateurs de la nation devraient en tenir compte!

vendredi 1 février 2008

Mécanique délétère

Pour illustrer le précédent post, on apprend aujourd'hui que les institutions européennes, notamment la Commission, se sont félicitées du rapport Attali.
Il ne pouvait pas en être autrement, en raison de la logique que je développais précédemment. Du coup la spirale imbécile consistant à construire dans l'opinion, l'idée que la "technocratie bruxelloise" et le projet européen sont un risque et une agression peut reprendre de plus belle. Du coup, tous les chantres de la fermeture, du nationalisme et de la "France moisie" vont pouvoir renaitre. En bref, le tourbillon ouvert par la bourde stratégique de J. Chirac, face au Traité d'Union Européenne, et de F. Hollande dans son référendum interne au PS, reprend force et vigueur.
Tous les ferments de division sont à nouveau à l'oeuvre, et au premier chef, ceux qui nourrissent les tentations conservatrices, populistes ou même nationalistes, et ce, autant à gauche qu'à droite.
Ce contexte en marche m'évoque la période que connut la vie politique française entre 1965 et 1975: d'abord les péripéties conservatrices de la vieille SFIO, du PC et du radicalisme, que dut dépasser F. Mitterrand. Puis, à la mort de Pompidou, les même frasques dans l'univers gaulliste. Giscard d'Estaing et J. Chirac surent en tirer profit.
Il faut lire le récent ouvrage de M. Cotta (Cahiers secrets de la cinquième république", éd. Fayard), c'est un voyage au cœur de cet univers trouble et passionnant. Connaitre cette période est un grand enseignement pour comprendre l'actualité.
Finalement, aujourd'hui la vraie question n'est elle pas : à qui profite le crime? Pour la réponse, il faut rester attentif et vigilant!

dimanche 27 janvier 2008

Commission Attali : le "mal français" n'est pas là où l'on croit!

L'épisode du rapport de la commission dite "Attali" peut nous révéler le ou les lieux du "mal français", c'est - à - dire là où s'élaborent des blocages qui coutent si cher au dynamisme potentiel de notre pays.
Le plus évident d'entre eux réside dans la "psychologie collective", c'est - à - dire dans les représentations intériorisées des français : ce schéma binaire, qui opposerait d'un coté l'erreur et , de l'autre, la vérité.
Or nous ne sommes pas dans un monde éthéré, parfait, idyllique, où ces deux versants s'opposeraient frontalement. Dans le monde réel, celui que la sociologie, entre autres, essaie d'embrasser, il y a, certes, l'erreur, qui, elle, est une ; mais il y a des vérités, celles de chaque individu ou de chaque groupe social, vérités qui se construisent, se bricolent, au gré des contextes sociaux et historiques, qui façonnent la réalité et en constituent les contours structurant. Ces vérités sont le résultat de la croyance, individuelle ou collective, ce carburant essentiel de la confiance, lien indispensable entre gouvernant et gouvernés pour assurer la stabilité politique.
"L'épisode Attali", en lui - même, est typique d'un phénomène de gouvernance qui date, environs de la "période Giscard" (années 70), moment où la politique se technicise, car l'innovation scientifique prend la forme de la technoscience, c'est - à - dire qu'une fois produite la découverte se retrouve immédiatement dans le circuit commercial, social ou politique. La conséquence de cette accélération est que le politique a perdu le temps nécessaire pour prévoir les conséquences ou les usages possibles de ces avancées. Et, de manière quasi naturelle, il a alors eu recours aux experts, scientifiques légitimes commis pour dire ce qui va se passer.
Ainsi, parés des plumes de leur aura scientifique, ces experts vont, ni plus ni moins, remplir les mêmes fonctions qu'un Nostradamus auprès de la cour du Roi.
On comprend mieux, le "tout ou rien" annoncé par J. Attali. Ces experts, indiscutables, ont véritablement travaillé, ont, de bonne foi, élaboré un véritable travail de prospective economico - politique, mais ont aussi construit, sans s'en rendre compte, une micro - sociabilité entre eux, qui ne peut fonctionner que grâce à la distinction vis - à - vis du "commun", autrement dit tout ce qui n'est pas "eux".
Jusqu'ici, on ne peut rien leur reprocher, tout "think tank" fonctionne ainsi.
Mais désormais, le rapport ne leur appartient plus, il est publicisé, il est dans l'espace public et tout citoyen est en mesure de s'en saisir, de le discuter, de se l'approprier, de construire son point de vue. C'est d'ailleurs ce qu'a fait, en premier, N. Sarkozy, en taillant immédiatement dedans, refusant le principe de précaution et la suppression des départements.
La difficulté d'un exercice comme celui de la "commission Attali", repose sur un mythe : il existerait une cohérence en soi, abstraite, qui pourrait être le moteur de la politique concrète, celle à mettre en place au jour le jour. Du coup, un groupe d'experts comme celui là, est contraint de construire un modèle d'analyse qui, aussi fin et sophistiqué soit - il, ne peut fonctionner que "toute choses égales par ailleurs". C'est - à - dire en négligeant les variables qui n'ont pas été prises en compte dans le modèle.
A titre personnel, je crains que la notion de mentalité, certes marquée par l'inertie de la longue histoire, mais déterminante dans la construction de l'estime de soi et des identités, ait été négligée.
Par ailleurs et surtout, la notion de lien social, dans sa complexité et son évolution, me semble également avoir été, plus ou moins volontairement, passée par pertes et profit.
Enfin, à l'heure où la France s'est décentralisée et où l'Europe se construit politiquement (qu'on le veuille ou non), les experts de cette commission ont réfléchi soit nationalement (en négligeant les identités locales), soit internationalement (entre nations), et très peu à l'échelle européenne en tant que telle. Où alors, en réduisant la construction politique de l'Europe au phantasme d'une nation européenne qui n'a aucun sens. D'où l'imbécile résurgence de la suppression des départements.
Pour construire un regard critique sur les propositions du rapport, c'est - à - dire, reconnaître aussi les apports indéniables qu'il donne, il conviendrait plutôt de prendre au mot la ligne politique proposée par Nicolas Sarkozy : la "politique de civilisation".
Pour cela, il convient d'aller à sa source et relire E. Morin, on constatera alors que ce qu'il défend est le résultat du diagnostic de toute son oeuvre : le monde social et le monde scientifique sont déliés par l'hyperspécialisation. Pour soigner le social, il convient d'abord de sauvegarder le lien social là où il demeure, et de le retisser là où il a disparu. C'est là qu'est l'urgence! Or cette priorité ne supporte pas la logique de l'économie d'échelle, celle qui défend qu'on peut faire aussi bien à un niveau plus vaste en mutualisant les ressources et les coûts.
Il me semble que ce que cherchent d'abord les français c'est "connaître et être reconnus". Sur le premier versant, celui de la connaissance, le rapport Attali est remarquable, sur le second, soyons clair, il a tout faux. Mais pouvait - il en être autrement, au regard des conditions même de l'exercice?