samedi 10 novembre 2007

Souriez (jaune), vous allez être filmé(e)!

Il se passe toujours quelque chose dans la république sarkosienne. Hier, c'était l'annonce d'une commission sur la télésurveillance qui vient d'être créée à la demande de Michelle Alliot - Marie. Elle est présidée par le célèbre criminologue A. Bauer. Ce dernier a précisé que l'objet de cette commission était de faire la part entre la liberté d'aller et venir et le droit à la sécurité. A l'horizon de cette commission : le triplement des caméras de télésurveillance en milieu urbain, rien que çà!
Il me semble qu'une réflexion devrait être portée dans cette commission sur la frontière entre vie privée et vie publique. Et notamment le fait que cette frontière ne recoupe pas forcément celle, géographique, qui sépare espace public et espace privatif.
Pour illustrer cette idée, on a souvent dit dans la littérature que "l'air des villes rend libre". Qu'est ce à dire? Et bien que l'agrégation de population qui est la caractéristique de l'urbanité produit un effet dans notre perception de la relation à l'autre. Et donc a des conséquences sur ce que l'on pense, à juste titre, pouvoir s'autoriser, ou au contraire devoir s'interdire.
On parle bien sûr de l'isolement terrible de nombreux habitants des villes. Mais n'avez vous pas aussi, parfois, ressenti l'intense bonheur de se sentir libre au milieu d'une foule? En ce qui me concerne, je suis profondément provincial, mais aussi intensément amoureux de Paris. Jeudi dernier, j'ai encore ressenti cette étrange et fascinante volupté d'être seul vers 11h. du soir place Clichy, alors grouillante d'une vie intense et incroyable.
Au delà de ce type de sentiment, il y a, je crois l'impression profonde d'être au milieu de la vie sans être sous le regard de l'autre, sentiment qui, il faut bien le dire est plus rare dans une province où les relations et la notoriété sont plus rapidement construites et la proximité plus grande.
En bref, le droit à l'anonymat me parait être, en propre, un droit de l'Homme, au même titre que le droit d'être reconnu.
Quelque chose me dit que c'est plutôt là que se situe le problème que les partisans de la vidéosurveillance pourraient passer par "pertes et profits". Si je résume leur argumentation probable : "vous n'avez rien à vous reprocher, alors vous n'avez rien à craindre de la caméra". Mais le prisonnier qui n'a rien à se reprocher pendant la promenade n'a rien à craindre du mirador non plus! Et dans ce cas, il est vrai limite, le mirador est très visible. Avec la vidéosurveillance, la situation peut être encore plus insidieuse, car si certaines caméras sont visibles, le seront elles toutes?
Voyez vous, il m'arrive de temps en temps d'avoir envie d'embrasser quelqu'un dans la rue et que cette envie soit partagée par l'autre. L'idée qu'une caméra que je n'ai pas vue puisse ainsi voler cette tranche de vie me gène. En bref, sans sombrer dans la paranoïa, j'ai peur qu'une société urbaine panoptique (où l'on est regardé en permanence) trouble profondément une vraie liberté : le choix de la spontanéité. Pourrons nous être, dans un espace vidéosurveillé, cet être libre que nous propose d'être Sartre, débarrassé des rôles que nous impose l'espace social et qui sont un carcan déjà difficile à relâcher. Une remarque en passant, je suis fasciné par le fait que le père de "l'être et le néant" et les penseurs du libéralisme politique se retrouvent sur un point: la consubstantialité de la liberté et de la responsabilité. J'y reviendrai dans un futur post.
Pour moi la caméra nous rend moins libre et donc moins responsable. Attention à l'infantilisation croissante que génère l'évolution politique! La société de pouvoir nous emprisonne décidément dans une situation d'addiction et non dans celle de citoyens libres, autonomes et responsables. Non, décidément le Léviathan n'est pas mort. Continuons le combat.
Tiens, essayez donc de relire Foucault, il me semble que cela peut être un acte de résistance intellectuelle véritable. Il y a urgence!

2 commentaires:

Jake a dit…

Je ne sais si cela est pertinent mais il semble que parallélement on assiste aussi à une personnalisation de la vie politique (l'exemple est sans cesse relaté en ce momment mais il me semble que l'occupation centrale de monsieur Notre Président dans notre espace médiatique en est une bonne illustration dans la mesure où paraît passer en second plan son appartenance à un parti politique).Personnalisation de l'espace politique donc, mais aussi personnalisation dans le débat public (là il semble pertinent d'observer comme cela le débat qui a eu lieu sur la loi d'immigration et les fameux tests adn où l'on touche à l'intime, ce qui fait la particularité d'une personne).Big brother is watching you.
Sommes nous encore capable d'exister collectivement sur la scéne publique sans être le (ou les) résultat(s) de dynamiques individuelles?

Aristide a dit…

Très beau texte, cher Jean-Philippe, mais gare: proclamer le droit à l'anonymat - " la pudeur divine et la volupté" ( Les Montreurs - Poèmes barbares - Leconte de Lisle)- risque de te valoir une condamnation pour déviance droit-de-l'homiste salonarde des beaux quartiers (infraction de création récente du code de bienséance de la droite décomplexée dont la sanction consiste à punir à vie d'une paire d'ailes, d'une auréole et d'un sourire niais, tout individu qui s'aventurerait à rappeler que dans une démocratie, les libertés publiques et quelques autres droits fondamentaux, ça peut être important). Sans compter que, comme dirait mon voisin de palier, agent SNCF en grève, "ben je vois pas en quoi ça vous dérange une caméra; z'avez quelquechose à vous reprocher?"