dimanche 2 mars 2008

Résister plutôt que réagir

Résistance et réaction, voici deux mots qui sont politiquement très différents, mais aussi et surtout moralement opposés (car la politique c'est aussi de la morale).

Qu'est ce que résister ? On peut, je crois s'accorder sur le fait qu'un acte ou une attitude de résistance se fonde d'abord et avant tout sur la certitude du bien fondé d'une valeur ou d'un principe, y compris quand celui ci est envisagé dans un espace historique et sociopolitique concret. Par exemple, en France, les multiples prises de positions actuelles sur la laïcité relèvent, me semble t - il, de la résistance : il s'agit de préserver une forme du principe de laïcité, dans la particularité de sa construction politique et socio - historique française, générant notamment la forme très originale de la séparation mise en oeuvre en 1905. Au delà de ce qu'interdit, encadre, cette législation, il s'agit aussi de préserver la liberté individuelle de croire ou de ne pas croire, et assurer l'individu que, du point de vue de sa citoyenneté, ses convictions personnelles ne seront pas l'objet de discriminations. Il s'agit en fait d'un moyen très élaboré de réussir la compatibilité entre le pluralisme d'opinions et l'égalité de condition civique.
Disons le, c'est un petit bijou dont il faut être fier, un diamant hérité qu'il faut entretenir et continuer à tailler pour qu'il perdure!
Un acte de résistance doit donc toujours être justifiable au plan des principes et nécessite une capacité à s'en expliquer dans le registre de l'argumentation politique et morale!

Réagir, c'est un peu différent, il s'agit, me semble t - il d'un mouvement individuel ou social, profondément inscrit dans l'émotion. J'aurais tendance à dire que la dimension émotive de la réaction est même l'essentiel du phénomène. Du coup, la réaction est, si je puis dire sujette à caution. Il en est évidemment de saines, d'autres qui le sont probablement moins. Autrement dit, dans un pays comme la France, où la sociabilité se fonde plus sur le dépassement des dissensions que dans la recherche positive du consensus (ce qui n'est pas forcément un drame!), il est des révoltes héroïques (la Commune, les manifestations entre les deux tours de l'élection présidentielle de 2002), il en est de moins positives (le 6 février 1934, le poujadisme). Ces formes contestables de réactions sont souvent gouvernées par le conservatisme, qu'il soit corporatiste ou idéologique.

Pour comprendre, dans l'actualité, les enjeux portés par cette distinction, il me semble urgent et nécessaire de lire un ouvrage fort intéressant:
T. Frank, "Pourquoi les pauvres votent à droite", 2008, Paris, coll. Contre - Feux, Agone. Le sous - titre du livre est encore plus explicite : "Comment les conservateurs ont gagné le coeur des Etats - Unis (et celui des autre pays riches)".
Dans ce livre, vous trouverez, décliné de manière assez directe, un récit concernant l'Etat du Kansas. C'est un Etat particulièrement intéressant pour notre réflexion, car on est là au coeur du Midwest, dans un territoire agricole, prolétarisé depuis le début du 20ème siècle, où est né le populisme américain. L'émotion des classes populaires est une constante socio - historique du kansas. La nouveauté, c'est qu'à partir de Reagan et encore plus précisément de Bush, la révolte, c'est - à - dire la radicalité populaire a été récupérée par les néoconservateurs religieux. Du coup, cet Etat qui votait historiquement à gauche, s'est mis, dans les années 90 à voter républicain et à prendre des positions de plus en plus rigides sur le plan des valeurs morales : contre l'avortement par exemple, et en faveur de l'enseignement des théories créationnistes (anti darwinienne) à l'école par exemple.
On trouve aussi dans cette analyse un fait très intéressant: quand les républicains sont arrivés au pouvoir, avec Reagan puis plus tard avec Bush père et Bush fils, il s'agissait d'une coalition composés d'ultra - capitalistes (les libertariens) et de d'ultras conservateurs religieux. Et ce sont ces derniers qui ont fini par avoir le dessus, car les valeurs qu'ils défendent ont trouvé un écho dans le désarroi des classes populaires, leur inquiétude et la demande d'ordre qui en résulte. Dans un contexte global ultra capitaliste, à la morale profondément relativiste (les plus riches sont concrètement toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres), la morale religieuse fonctionne comme un refuge, quelque soit le fond des valeurs et leurs conséquences délétères pour les intérêts des plus fragiles et de la société en général. Conséquence concrète : depuis presque plus de vingt ans, les populations les plus pauvres du Kansas votent systèmatiquement contre leurs intérêts objectifs, et les néoconservateurs républicains, les prédicateurs de tous poils, surfent sur cette vague.

Au lieu de réagir, si nous réfléchissions : il me semble urgent de chercher où se trouvent les néoconservateurs dans le pouvoir actuel en France. Les discours du Latran ou de Dakkar ne sont - ils pas la trace, la signature de ce courant? Notre vigilance républicaine, ainsi aiguisée, on pourra sans doute porter un regard plus incisif sur le pouvoir actuel, et en conséquence plus efficace.

Evidemment, cette même ligne de conduite est applicable à l'opposition qui n'est pas, elle non plus, à l'abri de ce mal, même si ce dernier prend probablement là d'autres formes.

Dernière minute, on y reviendra, je signale une excellent papier dans le non moins excellent site Rue 89. Il est à lire ici.

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